De sa naissance sur le papier, en 1911, à ses avatars contemporains, en passant par Louis Feuillade, André Hunebelle, le surréalisme et… Moscou, un voyage alerte et malicieux sur les pas du premier méchant de la modernité.
Fantômas démasqué
Entre 1911 et 1913, en France, un phénomène révolutionne le monde de l’édition : écrites à quatre mains par deux jeunes gens venus du journalisme, Marcel Allain et Pierre Souvestre, au rythme d’un nouvel épisode par mois, les aventures de Fantômas, vendues au prix modique de 65 centimes l’unité, s’arrachent à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, au fil de 31 romans à faire peur. La série de cinq films muets que Louis Feuillade réalise entre 1913 et 1914 décuple le succès de cette première collection populaire. En quittant les studios pour capter en partie sur le vif, dans les rues de Paris, le combat inégal du policier Juve et du journaliste Fandor contre l’insaisissable et cruel meurtrier, ces chefs-d’œuvre révolutionnent eux aussi la jeune industrie du cinéma. Un demi-siècle plus tard, entre 1964 et 1967, André Hunebelle s’empare à son tour de Fantômas pour une trilogie au succès fracassant, avec Jean Marais, Mylène Demongeot et un second rôle qui va peu à peu éclipser les premiers : Louis de Funès. Mais alors que Fantômas triomphe à nouveau, jusqu’en URSS, où plus de 50 millions de Soviétiques vont le plébisciter, l’un de ses deux inventeurs, Marcel Allain, alors octogénaire, s’indigne que celui qu’il a conçu comme une terrifiante incarnation du mal soit devenu prétexte à rire, et gagne le procès qu’il intente à la Gaumont, dommages et intérêts à l’appui…
“L’inconscient de la modernité”
Que cachent les innombrables masques de Fantômas ? Trois admirateurs éclairés (le critique de cinéma Jean-Marc Lalanne, l’historien Loïc Artiaga et le professeur de littérature Matthieu Letourneux, auxquels se joignent dans le dernier tiers du film le journaliste russe Andreï Shary), mais aussi la rieuse Mylène Demongeot, ou encore, en archives, le très vivant fantôme de Marcel Allain nous font voyager plus d’un siècle durant sur les traces de ses multiples avatars. Symbolisant “l’inconscient de la modernité”, et ayant comme tel inspiré, entre autres, Guillaume Apollinaire et les surréalistes, Fantômas est devenu la matrice de tous les méchants de fiction, dont il reste à jamais le premier. Miroir changeant des peurs de la société, il n’a cessé de se réinventer, de la figure de l’occulte empereur du crime régnant sur le monde, à celle, contemporaine, du terroriste.