En archives et avec l’éclairage d’historiens, une traversée de l’Algérie coloniale sous Vichy, où persécutions des juifs et discriminations systémiques envers la majorité musulmane encouragent la lutte pour l’indépendance.
L'Algérie sous Vichy
Juin 1940 : après la débâcle, suivie par l’exode en métropole, l’Algérie française, épargnée par les bombardements et l’Occupation, ne s’en rallie pas moins avec ferveur, de l’été 1940 à 1943, à la révolution nationale du maréchal Pétain. Renforcement de l’ordre colonial et de la puissance de l’Église, exaltation de l’Empire et mise au pas des populations “indigènes”… : les Européens plébiscitent les orientations politiques de Vichy. Animés d’un profond antisémitisme, nombre d’entre eux approuvent l’abrogation du décret Crémieux qui, en 1870, avait accordé aux juifs d’Algérie la citoyenneté française, contribuant alors à diviser juifs et musulmans “pour mieux régner”. Ce zèle à anticiper les injonctions allemandes vise aussi à signifier aux 7 millions de musulmans (90 % de la population) qu’ils ne doivent en rien espérer cette citoyenneté. Dénoncée par des leaders comme Ferhat Abbas ou Messali Hadj, cette “égalité par le bas” entraîne, à rebours des attentes de l’autorité coloniale, un mouvement de solidarité entre deux communautés désormais unies dans la misère. Exclus du jour au lendemain de la fonction publique et de l’école, humiliés et spoliés de leurs biens, les juifs seront aussi internés dans des camps. À l’automne 1942, les persécutions vont se poursuivre, malgré le débarquement en Afrique du Nord. Car l’amiral Darlan puis, après son assassinat le 24 décembre, son successeur le général Giraud, professent en leitmotiv : “Les juifs à l’échoppe, les musulmans à la charrue.”
Histoire méconnue
En archives, dont certaines en couleur, ce passionnant documentaire, inspiré par le livre de Jacques Attali L’année des dupes – Alger 1943 (éd. Fayard, 2019), éclaire, avec des historiens dont Benjamin Stora − lequel y évoque le passé douloureux de sa famille −, un pan méconnu de l’Algérie française pendant la Seconde Guerre mondiale. Un sombre épisode qui, au passage, bat en brèche toute tentative fallacieuse de distinction entre juifs français et étrangers sous Vichy. Convoquant Albert Camus ou encore Jacques Derrida, qui portera les stigmates de cette période après son exclusion de l’école française à l’âge de 10 ans, le film montre aussi combien la violence des persécutions contre les juifs a anéanti la promesse coloniale de “civilisation” en Algérie et attisé le feu naissant de la lutte nationaliste vers l’indépendance. Dès le 10 février 1943, Ferhat Abbas publiait ainsi le Manifeste du peuple algérien, réclamant l’abolition de la colonisation et la liberté et l’égalité pour tous les habitants.