Non loin des cadavres entassés du Radeau de la Méduse, des Pestiférés de Jaffa ou de la Mort de Sardanapale, Yan Pei-Ming a organisé “Les Funérailles de Monna Lisa” au Louvre. (texte ci-dessous)
Dans le salon Denon aux murs tendus de rouge, Yan Pei-Ming expose un triptyque et deux portraits aux tons gris-blancs ( N.D.L.R.: le blanc est la couleur du deuil en Chine, tout comme au Japon, au Vietnam ou en Inde). Au centre de l’oeuvre, une copie largement agrandie de la fameuse Joconde de Léonard de Vinci.
Comme des larmes, des coulures de peinture brouillent le léger sourire de Lisa Del Giocondo et ses mains délicatement croisées.
Le portrait carré de 2,8 par 2,8 mètres est flanqué de deux immenses paysages rêvés de 2,8 par 5 mètres, prolongeant la campagne florentine. Paysage indistinct ou mer agitée, le champ abstrait est semé de crânes humains, réalisés à partir d’un scanner du crâne de Yan Pei-Ming lui-même.
注:按右边“小箭头”可以看到其他照片,或“按点取像”
严培明在卢浮宫的【蒙娜丽莎的葬礼】展览的“三位一体”:圣 蒙娜丽莎 Ste Joconde
严培明在卢浮宫的【蒙娜丽莎的葬礼】展览的“三位一体”:圣父 Le Père
严培明在卢浮宫的【蒙娜丽莎的葬礼】展览的“三位一体”:圣子 Le Fils
La Joconde, même sans couleurs, a l’air bien vivante, ce qui n’est pas le cas des deux gisants peints sur les tableaux qui l’entourent. A gauche du triptyque, un portrait du père de l’artiste, décédé mais les yeux ouverts, regardant son fils. A droite, un autoportrait prémonitoire de l’artiste mort. Le Louvre n’est-il pas le sanctuaire des artistes morts! Les deux cadavres ont l’air paisibles sur leur lit de mort, comparés aux corps torturés, transpercés, décomposés des grandes peintures romantiques de Delacroix et de Géricault exposées juste à côté dans la galerie Mollien.
L’oeuvre de Yan Pei-Ming est un memento mori, une vanité, thème récurrent de la peinture classique exposée au musée du Louvre.
严培明 工作中
Réalisées dans son atelier d’Ivry-sur-Seine, les cinq toiles laissent voir des grumeaux et des éclaboussures de peinture à l’huile. A grands coups de pinceau, Yan Pei-Ming crée un paysage brumeux, évanescent comme celui de Léonard de Vinci mais loin de sa technique du sfumato si délicat.
Avec “Les Funérailles de Monna Lisa”, le peintre franco-chinois se confronte à l’icône absolue de la peinture occidentale classique, après les icônes de la culture populaire chinoise (Mao) et les icônes américaines (Obama-McCain). Comme Andy Warhol, il joue avec l’image des célébrités.
不是 安迪·沃荷 作品 No Warhol Work
Comme l’explique Yan Pei-Ming aux visiteurs en ce premier jour d’exposition, la Joconde est la peinture la plus célèbre au monde, une référence absolue. Des générations d’artistes l’ont copié ou caricaturé comme Duchamp et Warhol. En Chine, Yan Pei-Ming et ses amis s’exerçaient à recopier le tableau du maître italien. Peindre les funérailles de Monna Lisa ne veut pas dire qu’elle est morte à l’admiration des foules et ne fait plus sens aujourd’hui. Non, “Les Funérailles de Monna Lisa” sont une manière pour le peintre d’en finir avec cette icône mais non avec la peinture.
Le polyptyque monumental de Yan Pei-Ming est entouré d’oeuvres classiques de la peinture française comme “Roger délivrant Angélique” (1819) d’Ingres ou de “Phèdre et Hippolyte” (1802) de Pierre-Narcisse Guérin. Un grand tableau non identifié présentant une scène romaine domine le triptyque.
Quelques pas plus loin mais invisible du salon Denon, la Joconde de Léonard de Vinci (1506), la vraie, est exposée derrière une vitre blindée. On ne peut pas la voir de près. La distance physique créée par la barrière et la distance psychologique dûe au discours culturel sur cette oeuvre font écran entre le visiteur et le tableau.
Voir la Joconde est plus un acte d’allégeance à la culture occidentale qu’une expérience esthétique. Qui oserait dire que ce n’est pas le plus beau tableau du monde? Pourtant, dans la Grande Galerie, la Vierge au rocher (1486) de Vinci est tout aussi magnifique.
Avec ces “funérailles de la Joconde”, Yan Pei-Ming nous fait regarder Monna Lisa autrement et tisse un lien ironique entre la Renaissance italienne et la peinture contemporaine. C’est la première fois qu’il y a deux Jocondes exposées au Louvre.
Depuis plusieurs années, le Louvre accueille des oeuvres contemporaines. Succédant à Picasso dans le salon Denon, la Joconde décolorée suscitera-t-elle autant de scandale que Jan Fabre face à la peinture flamande au Louvre ou que Jeff Koons au château de Versailles?